• Alexandre Jardin - Fanfan

    « Elle portait dix-huit ans. J'appris plus tard qu'elle en avait vingt. Sa physionomie se distinguait par une grâce solide, éclatante de vigueur, qui n'existe qu'avec la jeunesse. Elle ressemblait à mes rêves mieux que toutes celles qui les avaient suscités. Jamais je n'étais parvenu à me figurer une fille capable de produire autant de désirs. Mon imagination n'avait rien à lui prêter qu'elle n'eût déjà. »

    « Nous prîmes le métro pour aller visiter d'autres magasins dont elle raffolait. Par chance, les rames étaient pleines. Serré par les populations qui nous environnaient, je pus coller mon corps contre le sien et éprouver avec délice la fermeté de ses seins. Je me mordais les lèvres pour ne pas l'embrasser et mis les mains dans mes poches afin de prévenir tout geste qui aurait pu m'échapper. Lassée de voyager debout, Fanfan se pencha vers un homme qui était assis et lui murmura avec gentillesse :

    - Si vous me donniez votre place, j'en serais vraiment très contente. Je suis fatiguée.

    Touché par sa douceur, l'homme lui céda son strapontin.

    - Merci beaucoup, fit-elle en souriant.

    Fanfan savait simplifier la vie. Elle était affranchie des appréhensions qui brident la plupart des êtres humains. La liberté qu'elle s'octroyait à chaque instant me fascinait. »

    « La littérature, le théâtre et le cinéma m'enseignaient que s'il demeure quelque ivresse aux amants après le premier baiser, ce n'est que pâle contrefaçon des griseries qu'ils ont connues dans le pressentiment de l'amour. Les obstacles à leur vie commune qu'inventent auteurs et scénaristes ne sont là que pour faire oublier cette vérité amère : la passion expire quand l'espérance est morte. »

    « Je contemplai avec émotion ces milliers d'ouvrages. Ti m'avait déjà introduit auprès de la plupart des auteurs présents, mais j'étais intimidé.

    - Sans doute te demandes-tu si je ne suis pas aigri de n'en avoir écrit aucun. Eh bien non ! Mon talent a été de les bien lire et de les réunir. Je pense que notre monde manque plus de grands lecteurs que de grands écrivains, et composer une bibliothèque est un art qui tient de l'architecture. »

     

    « - Tu n'est qu'un blanc-bec, un jeune radis qui n'a rien compris. Combien de temps encore te conduiras-tu comme un fils ? Alexandre, il va falloir que tu entres dans l'âge d'homme. Je sais que la maladie du siècle c'est l'adolescence, cet âge dont on ne guérit plus. Oh, tu n'es pas le seul. Vous êtes des millions à vouloir "rester jeunes", à fuir l'engagement, à ressasser votre enfance, à suivre les modes qu'imposent les puceaux, à préférer la passion à l'amour. L'amour, vous en êtes incapables. L'amour véritable, celui qui donne, pas celui des puceaux. Oh, tu me répondras "qu'on y trouve toujours son compte". Encore une baliverne toxique pour l'âme de ceux qui partagent ce point de vue. Moi, je crois à l'amour pur. Et je prétends que nous sommes faits pour lui. Pas pour la passion. J'ai compris ça il y a peu, à quatre-vingt-quatre ans, dans les bras de Maude. "La passion à perpétuité", c'est une idée d'adolescent. Tu fais dans ton froc parce que tu as peur de t'engager ! Cesse de chercher à t'échapper de la condition humaine avec tes stratagèmes qui défient le bon sens. Aie le courage d'être un homme, que diable ! Conserver en soi l'enfant que l'on a été ne veut pas dire rester enfant. Tu es comme ces gens qui regardent la télévision en changeant sans arrêt de chaîne pour n'assister qu'aux séquences les plus intenses. C'est une sottise. Les histoires sont faites pour se développer. Crois-moi, la passion chronique est un trompe-l’œil, séduisant mais un trompe-l’œil quand même. Quand tu sales trop un plat, tu tues les goûts les plus subtils. Lorsque tu écoutes la musique trop fort, tu ne perçois qu'une partie des notes. Les grands amants sont des mélomanes de l'amour, des gourmets du sentiment, pas des consommateurs de piments rouges. La passion n'a pas grand chose à voir avec l'amour. Ton mépris du couple est une attitude de gamin. Tu es aussi infantile que tes parents. Ah, c'est vrai qu'en perpétuant la saison des préludes tu ne courais pas de risque. Tu te protégeais du mal. Mais le mal fait partie de la vie et on mène une existence d'invertébré si on ne l'affronte pas ! L'amour exige le risque de l'échec. C'est le prix à payer. Et la vie de couple est la seule véritable aventure de notre temps. C'est fini le communisme, la lune et l'Amérique. Si tu esquives le mariage, tu rateras ton époque. Pardonne ma véhémence, mais te voir faire l'imbécile me rappelle mes erreurs. Moi aussi j'ai été de ceux qui ne veulent que la passion. Heureusement que j'ai rencontré Maude. Nous étions déjà vieux, mais j'aurais eu au moins avec elle quelques années d'amour. Et puis pense à Fanfan, bon sang ! Et relis Le Petit Prince ! On est responsable de ce que l'on aime. Tu n'as pas le droit de démolir ses espérances. Tu as agi avec elle comme un voyou. Il est interdit de jouer avec le cœur d'une femme. C'est trop beau, une femme ! Crois-moi, ceux qui ne s'engagent pas ne sont que des figurants, pas des acteurs. Ils font honte à notre espèce. Etre homme est un privilège. Il faut en être digne. [...] La seule chose importante en ce bas monde est de rendre heureuse une femme. Tout le reste n'est que vanité. »

    Shakespeare - Roméo et Juliette

    « Quelle voix matinale si gracieusement me salue ?

    Mon jeune fils, c'est un signe d'esprit troublé

    Que d'avoir dit si tôt adieu à sa chambre.

    Le souci veille dans les yeux des hommes d'âge

    Et là où il se loge le sommeil ne va pas venir,

    Mais lorsque la jeunesse au corps intact,

    Au cerveau sans ténèbre, étend ses membres,

    Rien ne règne et ne doit régner que la beauté

    du sommeil.

    Aussi vais-je conclure de ta venue matinale

    Que tu es travaillé par quelque tracas,

    A moins - et cette fois j'aurai touché juste -

    Que Roméo n'ait découché cette nuit... »

     

    « Je dois partir et vivre, ou rester et mourir. »

    « Tu pleures donc toujours la mort de ton cousin ?

    Veux-tu désagréger sa tombe de tes larmes ?

    Le pourrais-tu qu'il ne reviendrait pas.

    Finis-en donc. Un chagrin raisonnable

    Est signe de beaucoup d'amour,

    Mais beaucoup de chagrin est signe de peu de sens. »

     

    « Qu'est ceci ? Une coupe, serrée

    Entre les doigts de mon fidèle amour !

    C'est le poison, je vois, qui l'a fait mourir

    Si prématurément ! Tu as tout bu, avare,

    Tu ne m'a pas laissé une goutte amie

    Pour m'aider à venir auprès de toi ?

    Mais je te baiserai les lèvres. Il se peut bien

    Qu'elles soient humectées d'assez de poison encore

    Pour que je puisse mourir de ce cordial.

    Elle l'embrasse.

    Que tes lèvres sont chaudes !

    [...]

    Du bruit ? Bien, faisons vite. Ô poignard, bienvenu,

    Ceci est ton fourreau. (Elle se poignarde.) Repose-là,

    Pour que je puisse mourir.

    Elle tombe et meurt sur le corps de Roméo. »

     

    Alan Bennett - La Reine des lectrices

    « Mais être briefée, ce n'est pas lire : c'est même exactement l'inverse. Le briefing doit être concis, concret, efficace. La lecture est désordonnée, décousue et constamment attrayante. Le briefing vise à clore une discussion, la lecture ne cesse de la relancer. »

     

    « - Auparavant, j'étais l'homme à tout faire, Madame.

    - Eh bien, vous ne l'êtes plus à présent. Vous êtes mon tabellion particulier.

    Norman chercha le mot dans le dictionnaire qui ne quittait désormais plus le bureau de la reine. "Officier chargé de conserver les actes notariés. Par extension : celui qui écrit sous la dictée ou recopie des manuscrits : assistant littéraire. »

     

    « - Vous vous rappelez ce que je vous avais dit - que vous étiez mon tabellion particulier ? Eh bien, je viens de découvrir le terme qui me correspond : je suis un opsimath, comme on dit dans la langue de Shakespeare.

    Norman consulta le dictionnaire, toujours à portée de sa main : "Opsimath : qui apprend sur le tard, à la fin de sa vie". »

     

    « Si on lui avait demandé : "Les livres ont-ils enrichi votre vie ?", elle se serait sentie obligée de répondre : "Oui, sans l'ombre d'un doute" - tout en ajoutant avec la même conviction qu'ils l'avaient également vidée de tout sens. Avant de se lancer dans ces lectures, elle était une femme droite et sûre d'elle, sachant où résidait son devoir et bien décidée à l'accomplir, dans la mesure de ses moyens. Maintenant, elle se sentait trop souvent partagée. Lire n'était pas agir, c'était depuis toujours le problème. Et malgré son grand âge, elle restait une femme d'action.

    Elle ralluma sa lampe de chevet, saisit son carnet et nota rapidement : "On n'écrit pas pour rapporter sa vie dans ses livres, mais pour la découvrir." Puis elle se rendormit. »

    Marco Steiner dans Corto Maltese et la maison dorée de Samarkand de Hugo Pratt

    « "... la lune a toujours beaucoup compté en Turquie. Après la bataille de Gallipoli, le sol n'était plus qu'une mer de sang, et dans le ciel brillait une lune en forme de faucille, et, tout près, une étoile lumineuse. Un soldat dont j'ai oublié le nom les vit se refléter dans le sang... c'est ainsi qu'est né le drapeau turc." Dans le feu de son enthousiasme nationaliste, Ekrem confond Gallipoli avec une autre bataille bien plus ancienne, la bataille de Kosovo, le Champ des merles, où en 1448, les Ottomans ont vaincu les forces chrétiennes de l'armée serbe-bosniaque commandée par le prince Lazar Rebeljanoviç. »

    Rudyard Kipling - Les parfums des voyages

    « Je ne dis pas qu'on ne peut pas tenir une conversation intelligente sans atlas ;

    mais dès que des hommes abordent un sujet vraiment important,

    il faut que l'un d'eux aille en chercher un. »

     

    Roger Frison-Roche - Premier de cordée

    « -Voyez-vous, oncle, le vertige, les pieds gelés, les risques, ça a certainement été créé pour vous donner du goût à la vie. C'est seulement lorsqu'on est mutilé ou appauvri physiquement qu'on se rend compte de la valeur de l'existence.

    -Somme toute, en suivant ton raisonnement, la vie ne vaut d'être vécue que du jour où on risque de la perdre ?

    -Presque ! La vie doit être une lutte continuelle. Malheur à ceux qui ne combattent pas ! qui se laissent aller aux choses faciles ! »

     

    « Notre vie ne nous appartient pas, nous n'avons pas le droit d'en disposer, ce qui revient à dire que pas plus que nous ne pouvons nous suicider, nous ne devons hésiter à la risquer, lorsqu'on la réclame pour accomplir les destinées de la Providence.

    Une mort doit toujours servir à quelque chose. Les grands savants, les explorateurs, les soldats, les marins, les guides qui sont tombés pour une cause juste ou pour une oeuvre utile aux autres hommes, ont droit à notre respect et à notre souvenir. C'est pour cela qu'il ne faut pas craindre la mort et qu'on doit tirer le maximum de la vie, le maximum en bien comme de juste. »

     

    « -Ben, mes gaillards ! ça fait mé pi pas pi ! »

     

    Hugo Pratt - Corto Maltese

    « - Ce que vous avez de mieux à faire, toi et Caïn, c'est de rester près de moi. Je porte bonheur.
    - Et vous pensez que vous allez toujours continuer à avoir de la chance aussi effrontément ?
    - Bien sûr ma chère... Quand j'étais petit, je me suis aperçu que je n'avais pas de ligne de chance, alors avec le rasoir de mon père... Zac, je m'en suis fait une comme je voulais. »

    « Non est un joli mot, mais il faut être le premier à le dire. »

    « Tu sais ce qui me déplaît en toi, Raspoutine ? ...Presque tout ! »

    « Tu voudrais être ironique, mais tu arrives seulement à être sarcastique, mon vieux... et entre les deux il y a la même différence qu'entre un rot et un soupir ! »

    « Caïn Groovesnore... Le cœur est un muscle qui pompe du sang, non des sentiments ! C'est moi qui déciderai ce qu'il faut faire. »

    « S'arrêter ainsi dans la passé... c'est comme garder un cimetière. »

    « Il n'y a que des haies ici, pas de murs. Les haies isolent, protègent des regards indiscrets et d'inutiles distractions, mais on peut les traverser si l'on veut. Les murs non, ils susciteraient l'envie et la curiosité, le désir d'être escaladés et violés par des ennemis. Il vaut bien mieux vivre en n'étant protégés que par des haies. » Marco Steiner

    « Le parasite des plantes ronge l'herbe, la rouille ronge le fer, le mensonge ronge l'âme. » Anton Pavlovitch Tchekhov (Ma Vie)

    Rudyard Kipling - Le livre de la jungle

    On connaît sous le nom de "Livre de la jungle" les aventures du jeune Mowgli en dessin animé ou film. Mais l'ouvrage original de Rudyard Kipling regroupe en fait sept récits. Les trois premiers mettent en scène Mowgli, petit garçon volé dans un village par le tigre Shere Khan, sauvé par un clan de loups et pris sous leur protection par la panthère Bagheera et l'ours Baloo. Viennent ensuite les aventures de Kotick, le phoque blanc qui cherche pour ses semblables un lieu où les hommes ne pourront pas les massacrer; de Rikki-tikki-tavi, adorable mangouste qui sauve son petit maître d'un terrible couple de cobras; de Toomai, le petit cornac qui voulait voir danser les éléphants... 
    L'auteur, conteur magnifique, grand amoureux et connaisseur de l'Inde et de la nature, propose un voyage fabuleux au coeur de la jungle, parmi les loups, les tigres et les éléphants. Dans son monde, les animaux parlent et font souvent montre de sagesse, parfois de cruauté, ils sont effrayants comme Kaa le serpent ou Shere Khan le tigre, attachants comme Rikki-tikki-tavi la mangouste... 
    Kipling, dans un style sobre et élégant, raconte comme personne la magie et la poésie du pays où il a passé toute son enfance : impossible de résister au charme envoûtant de ses contes.

    « La Loi de la Jungle, qui n'ordonne rien sans raison, défend à toute bête de manger l'homme, sauf lorsqu'elle tue pour montrer à ses enfants comment on tue, auquel cas elle doit chasser hors des réserves de son clan ou de sa tribu. »

    « Le petit d'homme - Le petit d'homme ? Eh bien, oui, moi je parle en faveur du petit d'homme. C'est inoffensif, un petit d'homme. »

    « A quoi bon être un homme, se dit-il, si l'on ne comprend pas le langage des hommes ? »

    « Kaa baissa la tête et la posa un moment doucement sur l'épaule de Mowgli.
    - Un cœur brave et une langue courtoise, dit-il. Cela t'aidera à t'en tirer dans la jungle, petit d'homme. Mais maintenant, sauve-toi vite avec tes amis. Va dormir, car la lune descend doucement et ce qui va suivre maintenant n'est pas fait pour tes yeux. »

    « Ahae! mon coeur est lourd de tout ce qui m'échappe. »

    « Les hommes ne sont que des hommes , Petit Frère, et leur bavardage est comme le babil des grenouilles dans la mare. »

    « Je n'ai pas le don de la parole, mais je dis la vérité. »

     

    Rudyard Kipling - Le second livre de la jungle

    « Un menteur ne ment que lorsqu'il espère être cru. »

    « Excès de civilité ne vaut parfois pas mieux qu'excès d'impolitesse ; car, d'après le proverbe, on peut étouffer son hôte avec du lait caillé »

     

    Khalil Gibran

    « Aimez-vous l'un l'autre mais ne faites pas

    de l'amour une chaîne :

    Laissez-le plutôt être une mer se balançant

    entre les rivages de vos âmes.

    Remplissez chacun la coupe de l'autre

    mais ne buvez pas à une seule.

    Donnez-vous du pain l'un à l'autre

    mais ne mangez pas le même morceau.

    Chantez et dansez ensemble et soyez joyeux

    mais sachez demeurer seuls,

    Pareils aux cordes du luth qui sont seules

    mais savent vibrer ensemble en musique.

    Donnez vos cœurs mais sans que l'un et l'autre

    le garde :

    Car seule la main de la Vie peut comprendre

    vos cœurs.

    Et restez ensemble mais pas trop près l'un

    de l'autre :

    Car les colonnes du temps se dressent à distance,

    Et le chêne et le cyprès ne poussent pas

    à l'ombre l'un de l'autre. »

    François Place

    « Ne crains pas tes peurs. Affronte-les. »

    « La vengeance est une cercle vicieux de sang et de haine. »

    « Si la sagesse se compte en cheveux blancs, je t'accorde que tu es le meilleur. »

    « Mais j'aurais tout donné pour battre des ailes, pour ne plus sentir ce poids qui nous colle à la terre, et qui nous laisse voir les étoiles que pour mieux nous faire regretter de ne pouvoir les atteindre. »

    « Apprends à regarder en silence, si tu ne veux pas que le bruit chasse devant tes yeux la beauté des choses fragiles. »

    « Ils étaient neuf, cinq Géants et quatre Géantes. Enluminés de la tête aux pieds, y compris sur la langue et les dents, d'un embrouillamini délirant de tracés, de volutes, d'entrelacs, de spirales et de pointillés d'une extrême complexité. A la longue, on pouvait discerner, émergeant de ce labyrinthe fantasque, des images reconnaissables : arbres, plantes, animaux, fleurs, rivières, océans, un véritable chant de la terre dont la partition dessinée répondait à la musique de leurs nocturnes invocations célestes. »

    « Neufs Géants rêveurs d'étoiles et un petit homme aveuglé par son désir de gloire, c'était toute notre histoire. »

    Edwy Plenel - Pour les musulmans

    « Mais Zola allait encore plus loin, avec cette lumineuse prescience de ceux qui savent se mettre à la place de l'autre. Aussi entrevoyait-il cette prophétie autoréalisatrice qui est au ressort pervers de la persécution, l'alimentant et la justifiant en retour : ce fait qu'elle suscite parmi ses victimes, logiquement et légitimement, leur propre distance, leurs refus et leurs révoltes, leur résistance en somme, un entre-soi de fierté ou de colère pour faire face aux stigmatisations et aux exclusions, les affronter et les surmonter. "On finit par créer un danger, en criant chaque matin qu'il existe, avertit Zola. A force de montrer au peupler un épouvantail, on crée le monstre réel."

    Or ce que défend d'abord cet épouvantail, c'est notre propre aveuglement : le refus d'assumer nos responsabilités. "Les Juifs, tels qu'ils existent aujourd'hui, sont notre oeuvre, l'oeuvre de nos dix-huit cents ans d'imbécile persécution", insiste Zola, tout comme nous affirmons aujourd'hui, que la situation faite aux musulmans de France n'est pas dissociable de la longue durée de nos dominations coloniales. "On les a frappés, injuriés, abreuvés d'injustices et de violences, poursuit l'écrivain, et rien d'étonnant à ce qu'ils gardent au cœur, même inconsciemment, l'espoir d'une lointaine revanche, la volonté de résister, de se maintenir et de vaincre."

    Ce Pour les Juifs de Zola se termine par un appel vibrant à l' "unité humaine", un sursaut d'humanité contre les "malfaiteurs sociaux" dont le "bourbier" n'est "que passion religieuse et qu'intelligence déséquilibrée". "Désarmons nos haines, lance-t-il, aimons nous dans nos villes, aimons-nous par-dessus les frontières, travaillons à fondre les races en une seule famille, enfin heureuse ! [...] Et laissons les fous, et laissons les méchants retourner à la barbarie des forêts, ceux qui s'imaginent faire de la justice à coups de couteau." »

     

    « C'est ici qu'intervient l'incessante querelle religieuse faite à nos compatriotes musulmans. On les voudrait musulmans transparents. Effacés, secrets, cachés. Assimilés, dit la vulgate. A la vérité, inexistants.

    L'assimilation est une injonction terrifiante qui fut aussi celle de la colonisation, notamment française : n'accepter l'Autre qu'à la condition qu'il ne soit plus lui-même, ne le distinguer que s'il décide de nous ressembler, ne l'admettre que s'il renonce à tout ce qu'il fut. Rien à voir avec l'exigence d'intégration ou s'exprime une quête d'unité et de pluralité, celle d'une vie à construire et à inventer ensemble, en tissant des liens qui ne sont pas de perdition ou d'égarement. Celle, en somme, d'une vie en relation, selon la belle définition qu'en donnait le poète Edouard Glissant : "Tu échanges, changeant avec l'autre sans pour autant te perdre ni te dénaturer." »

     

     

    « Voici donc un passage de L'introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel, texte de jeunesse, publié en 1844, où surgit chez Marx cette comparaison de la religion à l'opium, entendu comme paradis artificiel et bonheur illusoire : "La misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre cette misère-là. Le religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de choses dépourvu d'esprit. La religion est l'opium du peuple." 

    Devenue célèbre, utilisée comme un verdict sans appel, la formule est sortie de son contexte historique, celui de la découverte occidentale des substances narcotiques et de l'engouement mondain qu'elles suscitaient. L'opium est ici entendu comme un divertissement plutôt qu'un abêtissement, comme un moyen agréable de dissiper une réalité détestable, comme une façon de la refuser par le détour d'une fuite virtuelle.

    Bref, ce ne sont pas propos de condamnation, mais phrases de compréhension qui, pour autant ne signifient aucune complaisance avec les idéologies religieuses. Mais, refusant de réduire les croyants à une identité figée et pariant sur leur libre arbitre face à l'expérience concrète, Marx juge plus important ce que les hommes font ensemble que ce qu'ils croient séparément. Il les accepte comme ils sont, surtout si, dans l'exclusion sociale qu'ils vivent, ils n'ont d'autres échappées que ce soupir religieux. »

     

     

    « Jaurès qui proclame, à la Chambre des députés en 1910 : "Je ne suis pas de ceux que le mot Dieu effraye." Jaurès qui, dans sa thèse de philosophie sur La Réalité du monde sensible, vante cet "infini vivant, qui est acte". Jaurès qui, député de Carmaux, assume en 1896 sa sensibilité métaphysique dans les colonnes de La Petite République : "Je crois d'une foi profonde que la vie humaine a un sens, que l'univers est un tout, que toutes ses forces, tous ses éléments conspirent à une oeuvre et que la vie de l'homme ne peut être isolée de l'infini où elle se meut et où elle tend." Jaurès qui va jusqu'à écrire cette bravade à l'attention des esprits forts et blasés : "Tout acte de bonté est une intuition du vrai, tout effort dans la justice est une prise de possession de Dieu." Jaurès dont l'optimisme progressiste n'hésite pas à convoquer le ciel : "La justice, étincelle divine, qui suffira à rallumer tous les soleils. »

     

     

    « Hier comme aujourd'hui, la peur du monde est toujours au ressort des xénophobies et des racismes. Incapables de relever les défis du monde, de les comprendre et de les maîtriser, les gouvernants qui font commerce de ces haines cherchent à survivre par la désignation de boucs émissaires de façon que se libère et s'épuise la peur qui les habite et les paralyse.

    "C'est un homme qui a peur", écrivait dès 1946 Jean-Paul Sartre à propos de l'antisémite dans ses Réflexions sur la question juive. Mais ce portrait vaut aussi bien pour l'islamophobe, le négrophobe ou le romanophobe d'aujourd'hui : "C'est une homme qui a peur. Non des Juifs, certes : de lui-même, de sa conscience, de sa liberté, de ses instincts, de ses responsabilités, de la solitude, du changement, de la société et du monde ; de tout sauf des Juifs. [...] Le Juif n'est ici qu'un prétexte, ailleurs on se servira du nègre, ailleurs du Jaune. Son existence permet simplement à l'antisémite d'étouffer dans l’œuf ses angoisses en se persuadant que sa place a toujours été marquée dans le monde, qu'elle l'attendait et qu'il a, de tradition, le droit de l'occuper. L'antisémitisme, en un mot, c'est la peur devant la condition humaine. »

     

    Pierre Loti

    « Il viendra un temps où la Terre sera bien ennuyeuse à habiter, quand on l'aura rendue pareille d'un bout à l'autre, et qu'on ne pourra même plus essayer de voyager pour se distraire un peu. »

    Frédéric Beigbeder - Nouvelles sous ecstasy

    « Le plaisir présente un avantage : contrairement au bonheur, il a le mérite d'exister. »

    « Ce matin-là, le jour s'est levé. Je veux dire: il s'est vraiment levé car auparavant il était assis. Et je vous assure que ça fait une drôle d'impression, un jour qui tient debout. »

    « Je bois pour oublier qu'on m'a oublié. »

    « L'ecstasy fait payer très cher ses quelques minutes de joie chimique. Il donne accès à un monde meilleur, une société où tout le monde se tiendrait par la main, où l'on ne serait plus seul; il fait rêver d'une ère nouvelle, débarrassée de la logique aristotélicienne, de la géométrie euclidienne, de la méthode cartésienne et de l'économie friedmanienne. Il vous laisse entrevoir tout ça, et puis, tout d'un coup, sans prévenir, vous claque la porte au nez. »

    « Le célibataire fait plus pitié qu’envie, sauf aux hommes mariés qui l’imaginent libre alors qu’il n’est que désespéré. » 

    « Quand on a raté sa vie, il faut au moins essayer de réussir sa mort. » 

    « Il existe une zone de flou artistique entre le célibat dépressif et le mariage ennuyeux : baptisons-la bonheur. » 

     

    Francis Bacon

    « Si certaines gens méprisent les richesses, c'est qu'ils désespèrent de s'enrichir. »

    « La fin du discours importe plus que le commencement. »

    « Le silence est la vertu des sots. »

     

    Mythe mélanésien de l'île de Vanuatu

    « Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la pirogue, c'est-à-dire du voyage, de l'arrachement à soi-même, et le besoin de l'arbre, c'est-à-dire de l'enracinement, de l'identité, et les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l'un, tantôt à l'autre ; jusqu'au jour où ils comprennent que c'est avec l'arbre qu'on fabrique la pirogue. »

    Gauz - Debout-payé

    « Debout-payé désigne l'ensemble des métiers où il faut rester debout pour gagner sa pitance. Zagoli désigne le vigile lui-même. Zagoli Golié est le nom d'un célèbre gardien de but des Eléphants, l'équipe nationale de football de Côte d'Ivoire. Etre vigile, c'est comme être gardien de but : on reste debout à regarder jouer les autres, et de temps en temps, on plonge pour attraper la baballe. »

    « Un jour, un fils d'immigrés sera président de ce pays et je suis sûr que c'est lui qui chassera tous les étrangers, prophétisa un Malien. »

    « Quand sonne le portique. Le portique de sécurité sonne quand quelqu'un sort ou entre avec un produit qui n'est pas démagnétisé. Ce n'est qu'une présomption de vol, et dans 90% des cas, le produit a été payé en bonne et due forme. Mais il est impressionnant de voir comme tout le monde obéit à l'injonction sonore du portique de sécurité. Presque personne ne la transgresse.

    Mais les réactions divergent selon les nationalités ou les cultures.

    -Le Français regarde dans tous les sens comme pour signifier que quelqu'un d'autre que lui est à l'origine du bruit et qu'il le cherche aussi, histoire de collaborer.

    -Le Japonais s'arrête net et attend que le vigile vienne vers lui.

    -Le Chinois n'entend pas ou feint de ne pas entendre et continue son chemin l'air le plus normal possible.

    -Le Français d'origine arabe ou africaine crie au complot ou au délit de faciès.

    -L'Africain pointe son doigt sur sa poitrine comme pour demander confirmation.

    -L'Américain fonce directement vers le vigile, sourire aux lèvres et sac entrouvert.

    -L'Allemand fait un pas en arrière pour tester et vérifier le système.

    -L'Arabe du Golfe prend un air le plus hautain possible en s'arrêtant.

    -Le Brésilien lève les mains en l'air.

    -Un jour, un homme s'est carrément évanoui. Il n'a pas pu donner sa nationalité. »

    « Cage de Faraday. Pour échapper aux ondes électromagnétiques du portique et donc aux vigiles, le meilleur moyen est de mettre les articles volés dans une cage de Faraday. Un moyen simple de s'en fabriquer une consiste à tapisser entièrement un sac d'une ou plusieurs couches de papier aluminium. Mais cela rigidifie les parois du sac et l’œil du vigile est exercé pour repérer la duperie. Dans le doute, le vigile peut déclencher lui-même l'alarme et mettre ainsi la main sur ceux qui utilisent les lois de Michael Faraday plutôt que leurs cartes bancaires pour faire leurs courses. »

     

    « JN+1. Les MIB [Men In Black = vigiles] de Sephora communiquent entre eux par oreillettes interposées et suivent des suspects ou présumés voleurs en désignant leur morphotype avec des codes qui obéissent à une suite numérique de type J(n+1) où "n" est un entier naturel.

    J3 : type arabe.

    J4 : type négroïde.

    J5 : type caucasien.

    J6 : type asiatique.

    Le vigile n'ose toujours pas demander dans quelle catégorie seraient classés les métis. J4,5 type négro-caucasien ? J3,6 type arabo-asiatique ? J6,4 type asiatico-négroïde... Avec son incroyable taux de métissage et ses improbables mélanges, le vigile pense qu'au Brésil, ses collègues doivent forcément avoir une fonction beaucoup plus complexe pour décrire des gens par leur type physique. Là-bas, on dit que Dieu a créé l'homme, et que le Portugais a créé le métis. »

    « "L'art sauvera le monde" Fedor Dostoïevski. »

    « Théorie de l'altitude relative du coccyx. Une théorie lie l'altitude relative du coccyx par rapport à l'assise d'un siège et la qualité de la paie.

    Elle peut être énoncée comme suit : "Dans un travail, plus le coccyx est éloigné de l'assise d'une chaise, moins le salaire est important." Autrement dit : le salaire est inversement proportionnel au temps de station debout. Les fiches de salaire du vigile illustrent cette théorie. »

     

    Muriel Barbery – L’élégance du hérisson

     

    « … il paraît évident que la grammaire est une fin et pas seulement un but : c’est un accès à la structure et à la beauté de la langue, pas seulement un truc qui sert à se débrouiller en société… malheureux les pauvres d’esprit qui ne connaissent ni la transe ni la beauté de la langue. »

     

    « Si tu veux te soigner

    Soigne

    Les autres

    Et souris ou pleure

    De cette heureuse volte-face du sort »

     

     

    Jean-Paul Brighelli – La Fabrique du Crétin

     

    « Le rêve industriel, c’est l’ilote, l’esclave sans conscience des sociétés antiques, le Crétin des sociétés modernes. La société moderne œuvre à la peaufiner.

    Le néo-libéralisme a rétablit la misère ; il était logique que parallèlement il réhabilitât l’ignorance. »

     

    « Les écoles normales d’instituteurs, dans les années 50 et 60, recrutaient fin troisième, ou au niveau du Bac. Aujourd’hui les IUFM sélectionnent en licence, et donnent encore trois ans de formation à leurs heureux bénéficiaires. Un « professeur des écoles », recruté à Bac + 5 ou 6, en sait-il davantage qu’un instituteur « à l’ancienne » ? Est-il plus capable d’apprendre à lire et à écrire à ses ouailles ? Forme-t-il des élèves plus compétents ? »

     

    « Cette ruse de tyrans d'abêtir leurs sujets ne se peut pas connaître plus clairement que Cyrus fit envers les Lydiens, après qu'il se fut emparé de Sardes, la maîtresse ville de Lydie (...) : on lui apporta des nouvelles que les Sardains s'étaient révoltés ; il les eut bientôt réduits sous sa main ; mais, ne voulant pas ni mettre à sac une tant belle ville, ni être toujours en peine d'y tenir une armée pour la garder, il s'avisa d'un grand expédient pour s'en assurer : il y établit des bordeaux, des tavernes et jeux publics, et il fit publier une ordonnance que les habitants eussent à en faire état. Il se trouva si bien de cette garnison que jamais depuis contre les Lydiens il ne fallut tirer un coup d'épée. Ces pauvres et misérables gens s'amusèrent à inventer toutes sortes de jeux, si bien que les Latins en ont tiré leur mot, et que ce que nous appelons "pass-temps", ils l'appellent LUDI, comme s'ils voulaient dire LYDI. » 

    La Boétie, Discours de la servitude volontaire. 

     

     

    Paulo Coelho – Onze minutes

     

    « Sous l’effet de la passion, on cesse de se nourrir, de dormir, de travailler, d’être en paix. Beaucoup de gens sont effrayés parce qu’elle anéantit sur son passage tout ce qui relève du passé.

    Personne n’aime à voir son univers désorganisé. C’est pourquoi beaucoup parviennent à contrôler cette menace et peuvent maintenir debout une structure qui est déjà poussière. Ce sont les ingénieurs des choses dépassées.

    D’autres pensent exactement le contraire : ils s’abandonnent sans réfléchir, espérant trouver dans la passion la solution à tous leurs problèmes. Ils placent dans l’autre toute la responsabilité de leur bonheur et le rende coupable de leur éventuel malheur. Ils sont en permanence euphoriques parce que quelque chose de merveilleux leur est arrivé, ou déprimés parce qu’un événement auquel ils ne s’attendaient pas a fini par tout détruire.

    Se préserver de la passion ou s’y abandonner aveuglément, laquelle de ces deux attitudes est la moins destructrice ?

    Je ne sais pas. »

     

    « Ceci est le wagon d’un train électrique que j’avais quand j’étais enfant. Je n’étais pas autorisé à jouer tout seul avec, mon père prétendait qu’il était importé des Etats-Unis et coûtait très cher. Alors, il ne me restait qu’à attendre qu’il ait envie de monter le train au beau milieu du salon – mais en général il passait ses dimanches à écouter l’opéra. Ainsi, le train à survécu à mon enfance sans m’apporter aucune joie. J’ai rangé au grenier tous les rails, la locomotive, les maisons, et même le manuel ; parce que j’avais un train qui n’était pas à moi, avec lequel je ne jouais pas. Si seulement il avait été abîmé comme tous les autres jouets que j’ai reçus et dont je ne me souviens pas ! Cette passion de détruire fait partie intégrante de la manière dont un enfant découvre le monde. Mais ce train intact me rappelle toujours une part de mon enfance que je n’ai pas vécue, sous prétexte qu’il était trop précieux, ou que mon père était occupé ailleurs. Ou peut-être parce que, chaque fois qu’il montait le train, il craignait de montrer son amour pour moi. »

     

    « (…) Ce qui fait bouger le monde, ce n’est pas la quête du plaisir, mais le renoncement à tout ce qui est essentiel. Le soldat va-t-il à la guerre pour tuer l’ennemi ? Non : il va mourir pour son pays. La femme aime-t-elle montrer à son mari à quel point elle est satisfaite ? Non : elle veut qu’il voit à quel point elle se dévoue et souffre pour qu’il soit heureux. Le mari va-t-il au travail en pensant y trouver son épanouissement personnel ? Non : il donne sa sueur et ses larmes pour le bien de sa famille. Et ainsi de suite : les enfants renoncent à leurs rêves pour faire plaisir à leurs parents, les parents renoncent à la vie pour faire plaisir à leurs enfants, douleur et souffrance devenant des preuves de ce qui ne devrait apporter que la joie : l’amour. »

     

    « Il était une fois un oiseau, doté d’une paire d’ailes parfaites aux plumes étincelantes et aux couleurs merveilleuses. Bref, un animal fait pour voler librement dans le ciel, à la plus grande joie de ceux qui l’observaient.

    Un jour, une femme vit cet oiseau et s’en éprit. Elle le regarda voler, bouche bée d’admiration, le cœur battant la chamade, les yeux brillants d’émotion. Il l’invita à l’accompagner, et ils volèrent ensemble en complète harmonie. Elle admirait, vénérait, célébrait l’oiseau.

    Mais un jour la femme pensa : « Peut-être aimerait-il découvrir des montagnes lointaines ? » Elle eut peur. Peur de ne plus jamais éprouver cela avec un autre oiseau. Et elle se sentit jalouse – jalouse du pouvoir voler de l’oiseau.

    Elle se sentit seule.

    « Je vais lui tendre un piège, pensa-t-elle. La prochaine fois que l’oiseaux apparaîtra, il ne repartira plus. »

    L’oiseau, qui était lui aussi très épris, revint la voir le lendemain. Il tomba dans le piège et fut emprisonné dans une cage.

    Chaque jour, la femme le contemplait. Il était l’objet de sa passion, et elle le montrait à ses amis, qui s’exclamaient : « Tu es une personne comblée ! » Cependant, une étrange transformation commença à se produire : comme l’oiseau était à elle et qu’elle n’avait plus besoin de le conquérir, la femme s’en désintéressa. L’animal, qui ne pouvait plus voler ni exprimer le sens de sa vie, dépérissait et perdait son éclat, il enlaidit – et la femme ne lui prêtait plus attention que pour le nourrir et nettoyer sa cage.

    Un beau jour, l’oiseau mourut. Elle en fut profondément attristée et ne cessa dès lors de penser à lui. Mais elle ne se souvenait pas de la cage, elle se rappelait seulement le jour où elle l’avait aperçu pour la première fois, volant, heureux, aussi haut que les nuages.

    Si elle s’était observée elle-même, elle aurait découvert que ce qui l’avait tellement émue chez l’oiseau, c’était sa liberté, l’énergie de ses ailes en mouvement, et non son aspect physique.

    Sans l’oiseau, sa vie même perdit son sens, et la mort vint frapper à sa porte.

    « Pourquoi es-tu venue ? » lui demanda la femme.

    « Pour que tu puisses voler de nouveau avec lui dans les cieux, répondit la mort. Si tu l’avais laissé partir et revenir à chaque fois, tu l’aurais aimé et admiré bien davantage ; désormais, tu as besoin de moi pour pouvoir le retrouver. » »

     

     

    E. Deschavanne et P.H. Tavoillot - Philosophie des âges de la vie

    «A l'âge adulte [...] trois évidences existencielles au moins s'estompent : on cesse d'être l'enfant de ses parents, c'est-à-dire l'être chéri par excellence ; on cesse aussi d'être parent à temps plein, c'est-à-dire d'avoir l'exercice d'une sollicitude exclusive ; on cesse enfin de se rêver un avenir professionnel et sexuel radieux. Si l'on échoue dans ses projets, on déprime parce qu'on a échoué ; et si l'on a réussi, on déprime parce qu'il n'y a plus rien à espérer. Les grandes raisons de vivre s'effacent. Il ne reste plus qu'à être soi-même, ce qui est loin, bien loin, d'être aisé ou exaltant.»

     

     

    Guibert, Lefèvre, Lemercier - Le photographe - Tomes 1,2 et 3

     

    «D'un même élan, d'une même foulée, on attaque notre premier col. C'est la montagne-frontière, le Dewana Baba, le col du vieux fou. 5000 mètres. On m'a prévenu que ce ne serait pas une partie de plaisir. Effectivement, c'est très pénible. Toute la nuit, on grimpe au pas de charge un tas de cailloux sans fin qu'on ne voit pas. Tandis que ma raison me répète en boucle que je ne vais pas y arriver
    mes pieds continuent d'avancer. Il fait de plus en plus froid. Vers cinq heures, l'aube point. Saoul de fatigue, au passage du col, je dois avouer qu'au fond de moi, je me demande ce que je fous là. Et comme d'habitude, je me réponds en prenant des photos.»

     

     

    François Bégaudeau – Entre les murs

     

    «Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisants et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange, mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

    Alfred De Musset

     

     

     

    Yasmina Khadra – L’attentat

     

    «On peut tout te prendre ; tes biens, tes plus belles années, l’ensemble de tes joies, et l’ensemble de tes mérites, jusqu’à ta dernière chemise – il te restera toujours tes rêves pour réinventer le monde que l’on t’a confisqué. »

     

     

    Emmanuel Carrère – Limonov

     

    «Vitez est venu plusieurs fois en Union soviétique, il parle un peu russe et, en dépit de ce qu’il appelle des « lourdeurs », il estime à chacun de ses séjours qu’ici c’est la vraie vie : grave, adulte, pesant son vrai poids. Les visages, dit-il, sont de vrais visages, labourés, laminés, alors qu’en Occident on ne voit que des faces de bébés. En Occident tout est permis et rien n’a d’importance, ici c’est le contraire : rien n’est permis, tout est important, et Vitez semble trouver que c’est beaucoup mieux. Du coup, il n’approuve que du bout des lèvres les changements en cours. Bien sûr, on ne peut pas être contre la liberté, ni même contre le confort, mais il ne faudrait pas que l’âme du pays s’y perde. »

     

    « En deux heures à la guerre, pense-t-il, on en apprend plus sur la vie et les hommes qu’en quatre décennies de paix. La guerre est sale, c’est vrai, la guerre est insensée, mais merde ! La vie civile est insensée aussi à force d’être morne et raisonnable et de brider les instincts. La vérité, que personne n’ose dire, c’est que la guerre est un plaisir, le plus grand des plaisirs, sinon elle s’arrêterait tout de suite. Une fois qu’on y a goûté, c’est comme l’héroïne, on veut en reprendre. On parle d’une vraie guerre, bien sûr, pas de « frappes chirurgicales » et autres saloperies bonnes pour les Américains qui veulent faire le gendarme chez les autres sans risquer leurs précieux pioupious dans des combats « au sol ». Le goût de la guerre, la vraie, est aussi naturel à l’homme que le goût de la paix, il est idiot de vouloir l’en amputer en répétant vertueusement : la paix c’est bien, la guerre c’est mal. En réalité, c’est comme l’homme et la femme, le yin et le yang : il faut les deux. »

     

    « Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas. » Lao-tseu 

     

     

     

    Eric Fottorino – Mon tour du « Monde »

     

    « Il fallait en prendre et en laisser, mais les échanges révélaient chaque fois une grande profondeur. L’accueil était simple, un peu réservé au début, puis rapidement familier. La chaleur montait avec le rouge qui descendait (« La où le vin entre, le secret sort »). Les langues se déliaient. Je connus bien des paysans très doués pour refaire le monde avec leurs mots. Mendras* m’avait mit l’eau et plus encore à la bouche. Ce fut un festin de roi. »

     

    *Henri Mendras – La fin des paysans

     

    « Je me dispersais, je me dissipais. Mais n’était-ce pas propre à ce métier que d’aller au gré du vent, fidèle à la consigne de Paul Morand, qui distinguait les personnes avec des meubles et celles avec des valises ? »

     

    « Nous étions passés de la rive droite à la rive gauche, de la rive qui dépense à celle qui pense, disait-on, même si Le Monde ne pensait pas trop mal sur la rive droite, et dépensa d’importance sur le versant gauche de la Seine. »

    « Reçu après son décès par son fils Michel, je me souviens encore de la photo agrandie de Baptistou qui trônait dans son bureau. Jamais image en noir et blanc ne montra homme si haut en couleur. »

     

    « Un jour il m’offrit le dernier poème de Jorge Luis Borges, « Instants », qui ne quittait pas sa sacoche. Je retrouve ces quelques vers de vieillesse, dont certains ont contesté qu’ils soient de Borges, mais dont le charme continue d’opérer sur moi :

     

                Si je pouvais vivre une nouvelle fois ma vie

                J’essaierais d’y commettre plus d’erreurs,

                (…)

                Je m’exposerais à plus de risques,

                Je ferais plus de voyages,

                Je contemplerais plus de crépuscules,

                J’escaladerais plus de montagnes,

                (…)    

                Et je jouerais davantage avec les enfants,

                Si j’avais encore une vie devant moi »

     

    « Quand auront sévi et sombré toutes les techniques imaginables de communication, vous verrez que livres et journaux resteront le recours suprême contre la violence, l’ignorance, l’oubli, la bêtise et la laideur. »    Pierre Benguigui

     

    « Les familles heureuses se ressemblent toutes. Les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon. »   Tolstoï (Anna Karénine)

     

    « En bon protestant, David me citait parfois l’Ecclésiaste. Je me souviens qu’au soir d’une éprouvante semaine, stimulant mon énergie vacillante, il prononça ces mots : « Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le. »  Une autre fois il m’apprit ce geste : « Jette ton pain sur la face des eaux car avec le temps tu le retrouveras. »

     

    « Une idée qui n’est pas dangereuse ne mérite pas d’être appelée une idée. »   Oscar Wilde

     

     

     

    Dominique Fernandez – Transsibérien

     

    « [A Kazan] se dresse une tour de brique de sept étages, qui penche légèrement. Elle porte le nom de la princesse Sumbeka, laquelle, pressée par Ivan le Terrible de coucher avec lui, ne consentit à lui céder que s’il faisait construire pour elle cette tour. A peine la tour fut-elle achevée que la princesse grimpa au sommet et se jeta du septième étage dans le vide. Elle n’était pas de l’espèce des « mignonnes » qui s’en laissent conter au milieu des roses. »

     

    « La place importante occupée par la musique et la culture [en Russie]. Je me souviens d’une visite au conservatoire de Saint-Pétersbourg. Frappé d’avoir vu un ou deux pianos dans les écoles, un piano dans les deux-pièces de mes amis, j’avais dit mon admiration et ajouté : « En France, même quand on aime la musique, on n’a pas toujours chez soi un piano. » Les professeurs me regardèrent sidérés. Je crus qu’ils condamnaient cette négligence de n’avoir pas chez soi un piano. Mais non : la formule « même quand on aime la musique » avait provoqué leur stupeur. Elle n’avait pour eux aucun sens. Aimer la musique est aussi naturel pour un Russe qu’aimer l’air qu’il respire. Je me demande si le mot « mélomane » existe dans la langue russe, et, au cas où il existerait, si on ne l’applique pas seulement à des étrangers. « Mélomane » est inutile à un peuple pour qui la musique est aussi consubstantielle que l’eau dont il se désaltère. »

     

    « Dans son roman « Rêves de Russie » [de Yasushi Inoué], fondé sur un fait divers, il raconte l’aventure d’un groupe de marins japonais qui ont fait naufrage, en 1789, au nord de la Sibérie et ont réussi à gagner Irkoutsk en traîneau, en suivant la vallée de Lena puis en glissant sur la face blanche et gelée de l’Angara. Ils y resteront quatre ans. Bien qu’ils aient appris le russe et se soient parfaitement assimilés, ils n’ont qu’une seule idée en tête : regagner leur patrie. Rêve impossible, sans une autorisation de Catherine II en personne. Enfin, au bout de quatre ans, les naufragés reçoivent la permission de partir. Mais le regret des trois mille maisons serrées les unes contre les autres, de la neige qui tombe à fins flocons, du tintement matin et soir des cloches, les poursuit pendant leur voyage de retour. Et, lorsqu’ils arrivent au Japon, celui qui s’est donné le plus de mal pour obtenir l’autorisation, au point de se rendre à Saint-Pétersbourg pour présenter une supplique à l’impératrice, avoue en toute simplicité son erreur. Le voilà revenu au pays natal, mais déjà éperdu de nostalgie. Il sent que le coassement des grenouilles, le chant des grillons, le bruit des sandales de paille sur le sol, la couleur du ciel japonais, toutes ces sensations ardemment désirées en exil ne font plus partie de son monde. « Même les brèves paroles échangées de temps en temps par les fonctionnaires dans sa chère langue maternelle lui semblaient étrangères. Il était désormais entouré de gens qui ne pouvaient le comprendre. Il avait assisté à des choses que jamais il n’aurait dû voir pour conserver le droit ou la possibilité de vivre ici. Jamais il n’aurait dû découvrir l’Angara, la glace et la neige d’Irkoutsk, ni voir les églises et leurs clochers. »  »

     

    « En la quittant, je songeais à l’énergie et à l’obstination qu’avaient déployées Maria Volkonski pour créer, en plein milieu de la taïga, dans une ville de trente mille habitants, une véritable université. Et, comparant cette énergie et cette obstination à la sotte arrogance de la poétesse d’aujourd’hui, qui se vantait de mépriser la culture, je me disais que les périodes de répression sont peut-être plus favorables à la vie de l’esprit qu’une liberté confiée à des gens qui ne la méritent pas. La France sous l’occupation allemande n’a-t-elle pas été une époque faste pour la littérature, le théâtre, le cinéma ? Et n’est-ce pas sous la dictature de Mussolini que s’est épanouie la merveilleuse génération d’écrivains et de cinéastes italiens qui n’a pas été remplacée ? »

     

     

     

    Eric-Emmanuel Schmitt – Les dix enfants que madame Ming n’a jamais eus

     

    « Nous naissons frères par la nature et devenons distincts par l’éducation. »

     

    « Pouvaient-ils montrer tant d’habileté et tant de maladresse à la fois ? Marcher sur les mains, se bloquer le cou entre les cuisses, exécuter le pont arrière, charrier l’autre sur une épaule, mais ni manger ni boire proprement ? Je subodorais la sournoiserie : s’ils effectuaient des mouvements compliqués, pourquoi rataient-ils les gestes simples ? A l’époque, monsieur, j’ignorais que les élus ne réussissent que l’extraordinaire et loupent l’ordinaire. Le don, c’est inéquitable, autant pour ceux qui le reçoivent que pour ceux qui en manquent. Bref, moi, par flemme, j’ai alors décidé de les laisser en short. Et bien, figurez-vous qu’ils ne se salissaient plus, qu’ils ne se blessaient plus, qu’ils cessaient de s’écorcher sitôt qu’ils se trouvaient nus ! C’étaient des enfants de cette sorte, des enfants que les habits rendent maladroits, des enfants pas faits pour les chaussures, les pantalons, les chandails, tout ce qui serre ou qui engonce. »

     

    « Le sage décèle en lui la cause de ses travers ; le fou en accuse les autres. »

     

    « Pourquoi les hommes ne supportent-ils pas la vérité ? Premièrement, parce que la vérité les déçoit. Deuxièmement, parce que la vérité manque souvent d’intérêt. Troisièmement, parce que la vérité n’a guère l’allure du vrai – la plupart des faussetés sont mieux troussées. Quatrièmement, parce que la vérité blesse. Je ne veux pas que tu mènes la guerre en croyant propager la paix. – Maman, que faire ? Mentir ? – Non, te taire. Le silence est un ami qui ne trahit jamais. »

     

     

     

    Daniel Pennac – Le dictateur et le hamac

     

    « La mygale qui brûle sans se consumer, sous les yeux de Soledad. On la tue pour ne pas se faire piquer. On la brûle à l’alcool pour que ses œufs n’éclosent pas dans le cadavre. Et voilà que ce corps noir flambe sans fin, pattes ouvertes au ciel, se calcifie sans rapetisser, n’en finit pas de s’éteindre… Morte, elle paraît comme vive ; une authentique image de l’enfer : irréductible.

    Une fois la mygale éliminée, on se fait bouffer par les moustiques, qu’elle mangeait.

    On apprend à préférer les mygales.

    D’ailleurs, elles ne piquent pas. »

     

    « La communion dans l’erreur est un des inconvénients de l’amitié. »

     

    « - Je ne t’ai jamais raconté l’histoire brésilienne du dictateur qui ne mangeait que de la soupe de tortue ?

    - Je ne crois pas.

    - Un dictateur obèse, les joues dans le gras du buste, tu vois ? Tous les soirs, il lui faut sa soupe de tortue. Or, un soir, pas de soupe. Le dictateur pique une crise. Son majordome descend aux cuisines. On lui montre la tortue, qui ne veut pas sortir la tête de sa carapace. Or, tout le monde sait qu’il faut décapiter les tortues pour qu’elles soient bonnes à manger. Laissez-moi faire, dit le majordome. Il prend la tortue dans sa main, lui fourre un doigt dans le cul, la tortue sort une tête scandalisée, que le majordome coupe aussitôt. Admiration des cuistots : Ca alors, où as-tu appris un truc pareil ? Réponse du majordome : Comment croyez-vous que je mets ses cravates au président ? »

     

    « Le hamac a dû être imaginé par un sage contre la tentation de devenir. Même l’espèce renonce à s’y reproduire. Il vous inspire tous les projets imaginables et vous dispense d’en accomplir aucun. Dans mon hamac j’étais le romancier le plus fécond et le plus improductif du monde. C’était un rectangle de temps suspendu dans le ciel. »

     

     

     

    Paulo Coelho – Le manuscrit retrouvé

     

    « La défaite nous fait perdre une bataille ou une guerre. L’échec ne nous laisse pas lutter.

    La défaite vient quand nous n’obtenons pas quelque chose que nous aimons beaucoup. L’échec ne nous permet pas de rêver. Sa devise, c’est : « Ne désire rien et tu ne souffriras jamais. »

    La défaite prend fin quand nous nous engageons dans un nouveau combat. L’échec n’a pas de fin : c’est un choix de vie.

    La défaite est pour ceux qui, malgré la peur, vivent avec l’enthousiasme et la foi.

    La défaite est pour les gens courageux. Eux seuls peuvent avoir l’honneur de perdre et la joie de gagner. »

     

    « Sans la solitude, l’Amour ne restera pas très longtemps à tes côtés.

    Parce que l’amour a aussi besoin de repos, pour pouvoir voyager dans les cieux et se manifester sous d’autres formes.

    Sans la solitude, aucune plante ou animal ne survit, aucune terre n’est fertile très longtemps, aucun enfant ne peut apprendre la vie, aucun artiste ne peut créer, aucun travail ne peut grandir et se transformer.

    La solitude n’est pas l’absence de l’Amour, mais son complément.

    La solitude n’est pas l’absence de compagnie, mais le moment où notre âme est libre de converser avec nous et de nous aider à décider de nos vies.

    Alors, que soient bénis ceux qui ne redoutent pas la solitude. Qui n’ont pas peur de se tenir compagnie, qui ne cherchent pas désespérément une occupation ou un amusement, ou quelque chose à juger. »

     

    « La nature nous dit : change.

    Et ceux qui ne craignent pas l’Ange du Hasard comprennent qu’il faut aller de l’avant, malgré la peur. Malgré les doutes, les récriminations, les menaces.

    Ils se confrontent à leurs valeurs et à leurs préjugés. Ils écoutent les conseils de ceux qui les aiment : « Ne fais pas ça, tu as tout ce qu’il te faut : l’amour de tes parents, la tendresse de ton épouse et de tes enfants, l’emploi que tu as eu tant de mal à trouver. Ne cours pas le risque d’être un étranger dans un pays étranger. »

    Mais ils risquent le premier pas – quelque fois par curiosité, d’autres fois par ambition, mais en général mus par le désir incontrôlable de l’aventure.

    A chaque virage du chemin, ils se sentent plus intimidés. Cependant, ils se surprennent eux-mêmes : ils sont plus forts et plus joyeux.

    La joie. C’est l’une des principales bénédictions du Tout-Puissant. Si nous sommes joyeux, nous sommes sur le bon chemin.

    La peur s’éloigne peu à peu, parce qu’on ne lui a pas accordé l’importance qu’elle désirait.

    Une question persiste aux premières étapes du chemin : « Ma décision de changer fait-elle que d’autres souffrent pour moi ? »

    Mais celui qui aime veut voir son bien-aimé heureux. S’il a d’abord peur pour lui, ce sentiment est bien vite remplacé par la fierté de le voir faire ce qu’il aime, aller où il a rêvé d’aller.

    Plus loin apparaît le sentiment d’abandon.

    Mes les voyageurs rencontrent sur la route des gens qui ressentent la même chose. A mesure qu’ils parlent entre eux, ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls : ils deviennent des compagnons de voyage, ils partagent la solution qu’ils ont trouvée pour chaque obstacle. Et tous se découvrent plus sages et plus vivants qu’ils ne l’imaginaient.

    Dans les moments où la souffrance ou le regret s’installent sous leurs tentes et qu’ils ne parviennent pas à dormir, ils se disent : « Demain, et seulement demain, je ferai un pas de plus. Je peux toujours retourner, parce que je connais le chemin. Un pas de plus ne fera donc pas grande différence. » »

    « Et pour ceux qui trouvent que l’aventure est dangereuse, qu’ils essaient la routine : elle tue avant l’heure. »

     

    « La plus destructrice de toutes les armes n’est pas la lance ou le canon – qui peuvent blesser le corps et détruire la muraille. La plus terrible de toutes les armes est la parole – qui ruine une vie sans laisser de traces de sang, et dont les blessures ne cicatrisent jamais.

    Soyons donc maîtres de notre langue, pour ne pas être esclaves de nos paroles. Même si elles sont utilisées contre nous, n’entrons pas dans un combat qui n’aura jamais de vainqueur. Au moment où nous nous mettrons au niveau de l’adversaire indigne, nous lutterons dans les ténèbres, et le seul gagnant sera le Maître des Ténèbres. »

     

     

     

    Albert Camus – La peste

     

     « A Oran comme ailleurs, faute de temps et de réflexion, on est bien obligé de s’aimer sans le savoir. »

     

     

     

    Yasmina Khadra – Ce que le jour doit à la nuit

     

    « - Est-ce que les Arabes sont des paresseux ?

    […]

    -          Nous ne sommes pas paresseux. Nous prenons seulement le temps de vivre. Ce qui n’est pas le cas des Occidentaux. Pour eux, le temps, c’est de l’argent. Pour nous, le temps, ça n’a pas de prix. Un verre de thé suffit à notre bonheur, alors qu’aucun bonheur ne leur suffit. Toute la différence est là mon garçon. »

     

    Le coucher de soleil, le printemps, le bleu de la mer, les étoiles de la nuit, toutes ces choses que nous disons captivantes n’ont de magie que lorsqu’elles gravitent autour d’une femme. […] Car la Beauté, la vraie, l’unique, la beauté phare, la beauté absolue, c’est la femme. Le reste, tout le reste n’est qu’accessoire de charme. »

     

    « Quand on ne trouve pas de solution à son malheur, on lui cherche un coupable. »

     

     

     

    Cormac Mc Carty – De si jolis chevaux

     

    « […] Il dit que le bon Dieu avait raison de faire que les jeunes qui commencent ignorent toutes les vérités de la vie parce que sans cela ils n’auraient pas le courage de rien commencer. »

     

     

     

    Arthur Rimbaud – Le Bateau ivre

     

    « J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides

    Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux

    D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides

    Sous l’horizon des mers, à des glauques troupeaux ! »

     

     

     

    Serge Gruzinski – La pensée métisse

     

    « Ce n’était pas la première fois que Baumgarten montrait à quel point notre regard et notre sensibilité se laissent facilement piéger. Entre 1973 et 1977, s’inspirant d’un mythe indigène tuyi, il avait réalisé le film, The Origin of the Night, qui plongeait le spectateur deux heures durant dans la jungle amazonienne, ou plutôt dans un décor qui en offrait toutes les apparences. A la fin du film, le public fasciné apprenait qu’il n’avait fait qu’explorer la forêt rhénane.

    […]

    Quelques années auparavant, alors qu’il étudiait avec Joseph Beuys, Baumgarten s’était déjà joué du regard paresseux des spectateurs. Il avait fait une série de photographies de la forêt tropicale, en donnant à chacune le nom d’une population indienne de l’Amérique du Sud. Cette savante encyclopédie n’était en réalité qu’une suite de compositions confectionnées avec des brocolis ! »

     

     

     

    Socrate

     

    « Connais-toi toi-même. »

     

     

     

    Ovide – Les métamorphoses

     

    -Les origines du monde

    -Deucalion et Pyrrha (le mont Parnasse)

    -Phaéton (la demande d’un fils à son père)

    -Actéon (le curieux transformé en cerf)

    -Narcisse / Echo (l’origine de ces mots)

    -Pallas et Arachné

     

    « La vieillesse ne nous apporte pas uniquement des maux que nous souhaitons éviter ; l’expérience est, à la longue, le fruit des ans. »

     

     

     

    David Foenkinos – Les souvenirs

     

    « Je demande souvent à mon fils quel est son meilleur souvenir : il hésite entre sa rencontre avec Buzz l’Eclair à Disneyland, et la première fois où il s’est couché après minuit. Il regardait partout dehors, dans la nuit. Cela lui paraissait incroyable qu’il y ait des gens qui sortaient le soir. Si je lui demande où nous étions ce soir-là, il peut réciter chaque détail. Se coucher tard était un véritable exploit. Comme s’il avait conquis un nouveau pays. Le pays de minuit. Les autres fois où cela est à nouveau arrivé n’auraient plus jamais la même intensité. Les premières fois sont la suprématie des souvenirs. »

     

     

     

    Reinaldo Arenas – Voyage à la Havane

     

    « Car si l’exil, c’est-à-dire la liberté, nous enseigne quelque chose, c’est que le bonheur ne consiste pas à être heureux, mais à pouvoir choisir nos malheur… »

     

    « Comment se pouvait-il que tant d’années durant il n’ait pas compris qu’il n’y a que deux options : le risque qu’implique l’aventure d’un certain bonheur, ou bien le repliement, la mort lente, nanti d’une sécurité sans signification ni brio, prévue, mesquine jusque dans ses jouissances triviales, éloignée de toute explosion vitale, de toute grandeur, et par conséquent de tout risque. »

     

     

     

    Graffiti dans les rues d’Arequipa

     

    « Si la vie te tourne le dos, prends-la par derrière. »

     

    Graffiti dans les rues de Bogota

     

    « Y a-t-il une vie avant la mort ? »

     

     

    James Redfield – La prophétie des Andes

     

    « La conversation consciente

    Quand plusieurs membres d’un groupe parlent, s’ils sont attentifs, ils doivent sentir à chaque instant lequel d’entre eux a l’idée la plus forte ; ils sentent alors qui va parler et peuvent concentrer leur attention sur cette personne, et l’aider à s’exprimer avec une clarté supérieure.

    Puis, tandis que la conversation se déroule, ce sera autour d’un autre d’avoir une idée forte, etc…

    Si vous êtes très attentif, vous saurez quand vient votre tour et l’idée vous viendra à l’esprit.

    L’essentiel, c’est de vous exprimer quand vient votre tour, et de projeter de l’énergie quand c’est au tour d’un autre.

    Bien des choses peuvent aller de travers. Au milieu d’un groupe, certaines personnes se mettent à avoir la grosse tête. Elles ressentent la force d’une idée, elles l’expriment, mais, parce que cet influx d’énergie est très agréable, elles ne s’arrêtent plus de parler, alors que l’énergie aurait dû se diriger vers un autre. Elles veulent monopoliser l’attention.

    D’autres, au contraire, sont repoussées par le groupe. Même si elles ont une idée forte, elles ne l’expriment pas. Dans ce cas-là, le groupe se disloque, et le bénéfice des idées est perdu pour tous. La même chose se produit quand certains membres du groupe ne sont pas acceptés par les autres. Ceux qui sont rejetés ne peuvent pas recevoir de l’énergie, et le groupe ne reçoit pas leurs messages. »

     

    « Lorsque l’amour naît, les deux individus se donnent de l’énergie sans le savoir, et tous deux se sentent forts et joyeux. C’est le sentiment extraordinairement intense qu’on appelle l’amour. Malheureusement, quand une personne attend que ce sentiment lui vienne de l’autre, elle se coupe totalement de l’énergie de l’univers et s’en remet de plus en plus à l’énergie qui lui vient de l’autre personne. Mais bientôt, il n’y a plus assez d’énergie à partager, aussi retombent-ils l’un et l’autre dans leurs mécanismes de domination pour essayer de prendre à  l’autre l’énergie restante. A ce stade, la lutte pour le pouvoir est inévitable.

    Si nous tombons amoureux d’une personne de sexe opposé, c’est qu’il nous faut encore accéder par nous-mêmes à cette énergie sexuelle opposée. Vous voyez, l’énergie mystique que nous pouvons capter intérieurement est à la fois mâle et femelle. Nous pouvons nous ouvrir à elle, mais, au début de notre évolution consciente, nous devons être prudents. Le processus d’intégration est lent. Si nous nous relions prématurément à une source d’énergie mâle ou femelle, nous bloquons la source universelle.

    Dans toute la famille, l’enfant doit d’abord recevoir toute l’énergie que lui apportent les adultes. Normalement, il assimile facilement l’énergie que lui donne le parent du même sexe, mais celle qui vient de l’autre parent est plus difficile à assimiler.

    Prenez l’exemple d’une fille. Tout ce que la petite fille sait quand elle cherche à intégrer son côté mâle est qu’elle est très fortement attirée par son père. Elle voudrait l’avoir à elle tout le temps. Ce qu’elle veut s’approprier réellement c’est l’énergie mâle parce que cette énergie complète son côté féminin. Cette énergie mâle lui procure un sentiment de plénitude et d’euphorie. Mais elle croit à tord que le seul moyen d’y arriver est de posséder sexuellement son père et de le garder tout près d’elle. Elle veut contrôler son père comme s’il était une partir d’elle-même. Elle le croit parfait, tout puissant, capable de satisfaire tous ses caprices. Le père doit rester ouvert et compréhensif. Sa fille le croit tout-puissant, mais, s’il lui explique avec sincérité qui il est, ce qu’il fait, pourquoi il le fait, etc… Elle pourra intégrer ses capacités, son style, et finira par avoir une vision réaliste de son père. Elle le considèrera comme un être humain ordinaire, avec ses talents et ses faiblesses.

    Le problème, c’est que la plupart des parents, jusqu’à présent, luttent contre leurs propres enfants pour obtenir de l’énergie, et que cela nous laisse des séquelles. A cause de cette concurrence, nous n’avons pas pu résoudre le problème de la dualité sexuelle. Nous sommes restés bloqués au stade où nous recherchons l’énergie d’une personne du sexe opposé dans une personne mâle ou femelle et que nous supposons idéale, toute puissante, et que nous pensions pouvoir posséder.

    Jusqu’à ce que nous apprenions à éviter cette situation, nous sommes comme une moitié du cercle. Nous ressemblons à la lettre C. Nous nous montrons très sensibles à une personne du sexe opposé, à un autre cercle incomplet, nous voulons qu’elle se joigne à notre cercle pour le compléter et nous donne l’euphorie et l’énergie que nous donne une liaison pleine avec l’univers. En réalité, nous n’avons rien fait d’autre que de nous relier à une personne qui cherche elle aussi à compléter son cercle. Cette dépendance réciproque contient en germe des problèmes qui surgissent immédiatement. Le problème avec cette personne entière, cette lettre O que chacun des deux croit avoir atteinte, c’est qu’il a fallu deux personnes pour n’en faire qu’une, l’une apportant l’énergie mâle et l’autre l’énergie femelle. Cette personne nouvelle a deux egos. Chacun des deux veut diriger la personne entière qu’ils ont créée, et ainsi, comme dans leur enfance, ils veulent diriger l’autre comme si cet autre était eux-mêmes. Cette illusion d’une personne entière disparaît très vite dans une lutte de pouvoir. Chaque personne finit par sans cesse réfuter l’autre de façon à pouvoir en prendre le contrôle. Mais, ça ne marche pas. Ca ne marche plus. Autrefois, peut-être, l’un des deux partenaires acceptait, ou même recherchait la domination de l’autre, souvent la femme, parfois, plus rarement, l’homme. Mais aujourd’hui, nous nous réveillons. Personne ne veut plus être dominé.

    Ce n’est pas la fin de l’amour. Nous pouvons continuer d’aimer, mais il nous faut d’abord achever le cercle tout seuls. Nous devons stabiliser notre liaison avec l’univers. Cela prend du temps, mais nous ne sommes plus ensuite exposés à ce problème, et nous pouvons connaître une relation plus élevée. Si nous communions dans l’amour avec une autre personne après cela, nous créons une super-personne, un être supérieur. Et cette relation-là ne nous détourne pas de la voie à suivre. Ce qu’il faut, c’est commencer à ressentir cette euphorie, ce bien-être qu’on éprouve au début d’une relation amoureuse, dans la solitude. Il faut arriver à ressentir l’autre au-dedans de soi. Ensuite seulement, on peut découvrir la relation amoureuse qui nous convient réellement. »

     

    « Chaque être humain, qu’il en soit conscient ou non, illustre par sa vie l’idée qu’il se fait de la vie en général.

    Nous ne sommes pas uniquement la création physique de nos parents, mais aussi leur création spirituelle. Vous êtes nés de ces deux personnes, et leurs vies respectives ont eu une influence décisive sur vous. Pour découvrir qui vous êtes, il vous faut admettre que votre véritable identité à commencé quelque part à mi-chemin de leurs deux vérités.

    C’est pour cela que vous êtes nés d’eux : pour prendre du recul par rapport à leurs croyances. Votre chemin à vous consiste à découvrir une vérité qui serait une synthèse à un plus haut niveau de leurs croyances respectives.

    C’est ce que vos parents n’ont pas réussi à faire ; c’est en cela que doit consister votre évolution, votre quête pendant votre vie sur terre. »

     

     

    Laurent Gounelle – Les dieux voyagent toujours incognito

     

    « C’est en se changeant soi-même que l’on devient heureux, pas en changeant ce qui nous entoure. »

     

    « Je suis le premier concerné dans cette affaire…

    -          Tu n’es pas concerné, tu es impliqué.

    C’est l’omelette au lard.

    Dans l’omelette au lard, la poule est concernée, et le cochon est impliqué. »

     

    « Le courageux ne meurt qu’une fois, dit le proverbe, tandis que le lâche est déjà mort mille fois… »

     

    « Une grenouille était tombée dans une cuve contenant de la crème. Les bords en étaient très hauts, et elle se trouvait prise au piège, dans l’incapacité de prendre appui sur la crème, trop liquide, pour se propulser à l’extérieur. Aucune chance de s’en sortir. Son sort en était scellé. Elle n’avait plus qu’à se laisser mourir au fond. Mais elle était trop bête pour comprendre cette évidence, et elle continuait de se débattre tant qu’elle pouvait, sans réfléchir à la futilité de son action, dépensant en vain son énergie pour tenter de s’extirper de sa prison mortelle. A force de s’agiter, elle battit tellement la crème que celle-ci se transforma en beurre. La grenouille pu alors prendre appui dessus. Elle sauta hors de la cuve et gagna sa liberté. »

     

    « Statistiques officielles du ministère de la Santé : au moment où la plupart des gens prennent leur retraite, leur santé décline, brutalement.

    Tant qu’ils sont en activité, ils sont plus ou moins tenus de s’adapter, d’évoluer au moins un peu pour ne pas être considérés comme de vieux ringards. Dès qu’ils prennent leur retraite, ils ne font plus d’efforts sur ce point. Ils se figent dans leurs habitudes, et c’est le déclin qui commence…

    Pour rester en vie, il suffit de rester dans la vie, c'est-à-dire d’être dans le mouvement, d’évoluer. Si tu veux rester jeune toute ta vie, continue d’évoluer, d’apprendre, de découvrir, et ne t’enferme pas dans des habitudes qui sclérosent l’esprit, ni dans le confort engourdissant de ce que tu sais déjà faire. »

     

    « Plus tu cherches à convaincre quelqu’un, et plus tu génères de résistance chez lui.

    C’est la loi de la dynamique. Isaac Newton a prouvé que lorsque tu exerces sur un matériau une force d’une certaine intensité, cela engendre une force contraire de même intensité.

    Pousser, c’est partir de notre position et vouloir l’imposer à l’autre. Tirer, c’est partir de la position de l’autre, et petit à petit l’amener à toi. »

     

    « Platon décrivait des gens nés dans une sorte de grotte très sombre dont ils n’étaient jamais sortis. Cette caverne était leur univers et, bien que glauque, elle leur était familière et donc rassurante. Ils refusaient obstinément de mettre le pied dehors car, ne connaissant pas l’extérieur, ils se l’imaginaient hostile, dangereux. Il leur était alors impossible de découvrir que cet espace inconnu était en fait empli de soleil, de beauté, de liberté… »

     

    « Embrasse l’univers de ton prochain, et il s’ouvrira à toi.

    Cherche à comprendre l’autre avant de chercher à être compris. »

     

     

     

    Marcel Proust

     

    « Le seule véritable voyage, le seul bain de jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit ; que chacun d’eux est. »

     

     

    Sœur Emmanuelle

     

    « La vie est un risque.

    Si tu n’as pas risqué, tu n’as pas vécu.

    C’est ce qui donne… un goût de champagne. »

     

     

    Théodore Monod – Le chercheur d’absolu

     

    « Chaque jour nous entendons des appels à la croissance de la consommation, seule issue au problème du chômage. Théodore Monod nous montre que nos vrais besoins sont bien limités, que, dans le désert, la survie est assurée par une poignée de dattes, une gourde d’eau, que nous croulons sous l’accumulation de nos désirs artificiels trop vite satisfaits, et que la Terre ne peut indéfiniment supporter notre boulimie. »

    Martine Leca, préface

     

    « L’enfant transforme les points d’interrogation en point d’exclamation, les dénoue. »

    Martine Leca, préface

     

    « Faites-vous des trésors dans le ciel, là où les mites et la rouille ne dévorent pas, où les voleurs ne percent pas les murs pour voler. »

    Saint Matthieu

     

    « Prends ton bâton et marche vers ta douleur, ô voyageur. »

    Psichari

     

    « Nos désirs artificiels ne nous mèneront pas loin. Je ne conçois qu’une société nouvelle sans guerriers, composée de paysans, d’artistes, de penseurs. Il faudrait commencer par transformer la Fête nationale, grand-messe des militaires. La Nation comprend des bûcherons, des instituteurs, des artistes, des intellectuels, etc… Pas exclusivement des soldats. »

     

    « Les Chrétiens croient en la Parousie, au retour du Christ, mais c’est théorique. D’ailleurs, si le Christ revenait dans le métro, il aurait maille à partir avec les policiers étant donné son faciès de Bédouin. »

     

    « Je me suis inspiré de cette réflexion lapidaire (de Teilhard de Chardin) pour répondre à un Musulman qui voulait me convertir à l’Islam : « Il est une montagne unique. Nous la gravissons les uns les autres par des sentiers différents avec l’espoir de nous retrouver un jour au sommet, dans la lumière et au-dessus des nuages. » »

     

    « Ses propos (de René un clochard) m’ont rappelé que, enfant, je n’aimais pas voir le Christ crucifié. Je le concevais libre. « Le Christ, m’a dit René, ce sont les hommes qui l’ont laissé sur la croix. Idolâtrer une statue, une image, les arrange bien, le dimanche, à la messe, histoire de gagner leur Paradis. » René avait raison. L’Eglise est dans la rue, là où ne sont pas les honneurs, l’argent. Et le Christ marche parmi nous. »

     

    « En vieillissant je voyage beaucoup dans ma mémoire, même dans mon appartement, situé dans le navire de Paris. Je retrouve la leçon du désert, son épure, son chant du silence, dont j’aimerais que soit empreinte la soi-disant civilisation étouffée par l’anthropomorphisme triomphaliste et orgueilleux. Ce serait une renaissance, la supervie et non la survie. »

     

    « J’espère en un nouvel homme, je ne dis pas un homme du futur. « Nouvel homme » implique pour moi une renaissance, un être affranchi de beaucoup d’inutilités. Nous compliquons trop nos existences. Mon père disait : « Nous sommes possédés par nos possessions. » Le désert nous apprend à nous soustraire des futilités et inutilités. Dans un espace, nous sommes à la limite de la survie. Les grandes cités nous submergent de superflu dans tous les domaines. Les boutiques de gadgets, cette marée de nourriture, de vêtements. Ces maisons envahies par quantité de meubles et de bibelots. Tout cela incite les gens à posséder, acheter tout à crédit, y compris leurs vacances. Placés dans une spirale infernale, ils sont dépendants de la société de consommation. Alors que la source du bonheur est en nous-mêmes. Pour certains, je crains que cette nappe phréatique soit tarie. Même les enfants sont blasés par un déluge de jouets. Je garde la nostalgie des arbres de Noël de mon enfance, simplement garnis de fruits, d’une poupée, d’un ours. Cette gabegie empoisonne l’homme. Il a succombé aux tentations artificielles. »

     

    « Contre la religion du profit, nous devons opposer la religion de la beauté, son pain vivant, son eau vive. Le sacré est la colonne vertébrale de l’être. Notre civilisation occidentale souffre de logorrhée. Le silence, les silences sont enrichissants. Je l’ai appris au contact d’un peuple de culture orale, pour qui la phrase, le poème, le conte, la légende sont repères de mémoire à caractère sacré. Le brouillard des mots nous accable. Les gens ne conversent plus. Ils lancent leurs opinions qui rebondissent sur autrui ou fuient en parallèles. Rares sont les paroles de réconciliation, d’entente. Le bavardage se répand. Prenez un mot : le temps. Si le citadin en parle, c’est pour remplir le vide de son temps. Pour le paysan ou le Bédouin ce temps est inutile, nécessaire, il guide sa vie, ses récoltes. Le silence oppresse le citadin qui le noie dans les mots. Le temps, le climat, pour l’homme du désert, participent de son être. Il lui doit sa survie. Le nomade est intégré au cosmos. Certains jugent pauvre le vocabulaire arabe. Bien au contraire, il va à l’essentiel. Lorsque neuf mots arabes expriment une pensée, il en faut quatre-vingt-quatorze en français. »

     

    « Pour occuper les lentes navigations sahariennes, j’emportais quelques livres dont toujours un Shakespeare relié en peau de chèvre. Les livres doivent être copieux, nourrir les heures ; être à la fois robustes et souples pour être lus d’une main. »

     

    « A l’heure vespérale ou crépusculaire, j’ai beaucoup pratiqué l’écriture. Mes écrits font partie de mes récoltes. Pour m’exprimer, je préfère l’écrit à la parole. Ecrire évite les répétitions. La parole dit trop ou formule une idée incomplète. Les gens se perdent en phrases inutiles, farcies de clichés, de mots impropres. La plume supprime le verbiage. Rayer un mot, en ajouter un autre, c’est composer un mécanisme d’horlogerie cérébrale, un puzzle. Le travail de ratures, de filtrage, est une sorte de graduel vers l’épure. »

     

    « J’ai souvent écrit au président de la République pour demander une « Fête nationale » sans militaires, une « Marseillaise » nettoyée de ses expressions sanguinolentes ou l’arrêt des essais nucléaires. Par courtoisie, il m’a toujours été accusé réception du courrier. Des paroles en l’air, de l’eau bénite de cour. Ils sont tellement contents d’appeler à verser le sang, d’abreuver les sillons. Il existerait donc des sangs impurs ! J’ai un livre recueillant 150 hymnes nationaux. Sur l’ensemble, une dizaine sont guerriers, dont « la Marseillaise ». Gardons la musique, qui n’est d’ailleurs pas terrible, mais changeons les paroles. Je refuse de chanter cet hymne. D’autant plus que les bons modèles ne manquent pas. Nous avons l’embarras du choix. Lamartine, par exemple, avait écrit une « Marseillaise » pacifique. Arracher l’homme à son amour maudit de la guerre, tel est mon objectif. Je n’en démordrai pas. »

     

    « Un puissant vizir voulant récompenser son plus fidèle esclave lui demanda : « Que veux-tu ? » L’esclave lui répondit : « Je souhaiterais obtenir pour moi et ma famille du riz en quantité telle que sur un échiquier on dispose un grain sur la première case, puis deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite. » Le vizir surpris par cette humble demande la fit exécuter sur-le-champ. Il n’y avait pas alors de calculette et il ne s’est pas rendu compte du chiffre astronomique de grains de riz que cela représentait. Quand il a compris, il a préféré accorder la liberté à l’esclave. »

    Conte traditionnel oriental

     

    « […] à grands coups de botte dans le « là-où-le-dos-perd-son-nom » […] »

     

    « Le poisson rouge

    A la porte du Paradis se bousculant comme des potaches, Hitler, Mussolini, et Churchill. Saint Pierre n’aime pas les gamineries. « Tout doux, les amis ! Un peu d’ordre. D’abord, il n’y a qu’une place aujourd’hui, une, et c’est complet. Alors, voici, nous allons procéder par voie de concours, le gagnant aura la place. » Cela dit, il amène les trois candidats auprès d’un petit bassin : « Dans ce bassin, explique-t-il, il y a un poisson rouge. Vous aurez droit chacun à un essai. Et maintenant, comme disait Guillaume le Conquérant à Hastings, « Let’s the best win », « Que le meilleur l’emporte… ». On tire au sort. C’est à Mussolini de commencer. Il tombe la veste, bombe le torse, cambre le jarret, avance d’un air décidé le menton et pique un tête sur le poisson rouge : coupe, crawl, ronds de bras, ronds de jambe, retournements, éclaboussures, inutiles acrobaties : au bout d’un quart d’heure Benito fait surface et, épuisé, abandonne. « Au suivant… » Hitler s’avance, se perche d’un air martial sur la borne fontaine et lance à pleine voix les ordres les plus menaçants : « Ici, une batterie lourde… là, un groupe de mortiers… une escadrille de bombardement… à mon commandement, sur le poisson rouge, feu à volonté, Blut und Ehre… » Fracas épouvantable ; le carpillon, plein d’astuce, s’était prudemment caché sous un gros rocher et attendait paisiblement que les munitions fussent épuisées… Un quart d’heure plus tard elles l’étaient et, le calme revenu, on pouvait de nouveau frétiller sans péril, mais Adolf avait perdu. Restait le troisième compétiteur, Winston Churchill : celui-ci s’approche tranquillement, s’assied, croise les jambes, regarde l’eau, sort un cigare, le prépare, l’allume, en tire quelques bonnes bouffées, prend ensuite dans sa poche une cuiller à café et commence, posément mais avec méthode et sans perdre des yeux le poisson rouge, à épuiser le bassin en ajoutant : « J’y mettrai le temps, mais je l’aurai… » »

    Histoires drôles, cycle du Paradis

     

    « On me dit : C’est un vieillard. Je dis : Pardon ! Les vieillards ont le droit au respect. Ils n’ont pas le droit au commandement. Ils ont droit au commandement s’ils savent commander, s’ils sont bons pour commander. Mais ils n’ont pas le droit au commandement pour cela seul qu’ils sont des vieillards. Autrement, il suffirait de devenir suprêmement vieux dans n’importe quel ordre pour parvenir dans cet ordre au commandement suprême… »

     

    « Rien n’est aussi poignant que le spectacle d’une jeunesse qui se révolte… »

     

    « Ma conclusion sera fournie par une petite scène de l’an 2000. Cela se passe dans une école de la brousse africaine, mais au Tibet, au Groenland, en Patagonie et même en Europe, oui, même en Europe, on en pourrait voir une semblable. Le maître interroge : « Comment se divise l’histoire du monde ? » - Et Mamadou Traoré se lève : « L’histoire du monde se divise en cinq périodes ou ères : primaire, l’ère des poissons cuirassés et des fougères arborescentes, - secondaire, l’ère des reptiles, des lézards volants et des oiseaux à dents, - tertiaire, celle des mammifères, poil partout, -quaternaire, celle des barbares ou « âge de la pierre taillée et du canon », - fraternaire, celle de l’homme… » »

     

    « Non certes qu’il « faille de tout pour faire un monde » comme le voudrait une absurde maxime résignée d’avance à tout tolérer et à justifier par une boutade le statu quo de notre actuelle barbarie. Il ne faut pas « de tout », il y a des choses, au contraire, qui ne devront plus faire partie du monde de demain si celui-ci doit mériter le nom de monde humanisé, il y a des choses avec lesquelles il faudra, tout de même, en finir. »

     

    « Il y a quelque part un carrefour et deux routes ouvertes. Mais, cette bifurcation, nous ne la voyons souvent qu’en nous retournant, derrière nous, cruellement rétrospective, et quand il est, comme toujours, trop tard.

    L’homme, entraîné aujourd’hui sur la route du progrès matériel, sur un chemin de ténèbres, qui s’enfonce dans la nuit, un chemin tout poisseux de sang et tout jonché de cadavres d’enfants, l’homme, en se retournant, aperçoit, très loin en arrière, la croisée des routes, et le moment où il était encore temps peut-être de choisir. De choisir entre ce cloaque de sang et d’ordure et les brises toniques et fortes de la montagne sacrée, entre une mystique de la communion étendant à tous les êtres sa divine miséricorde et cet atroce fanatisme du clan ou de l’Etat, entre la guerre et cet équivalent moral qu’il faudra bien se décider un jour à lui chercher, et à lui trouver, peut-être les héroïsmes pacifiques de la pauvreté.

    Seulement, voilà, le fait est là : on a choisi, et mal choisi. Que faire aujourd’hui ? Revenir au carrefour, impossible. S’ouvrir un chemin de traverse, pour tenter, s’il en est temps encore, de rejoindre l’autre route, l’étroite, la dure, la difficile, la courageuse, mais, tout de même, la seule qui puisse mener à autre chose qu’au charnier, au sadisme, à la pire des barbaries, qui n’a même pas le courage de se donner pour ce qu’elle est et qui invoque encore, à chaque nouveau massacre des innocents, de prétendus « objectifs militaires » ? »

     

    « L’autre voyage au long cours

    Je ne sais quand je rendrai « la barque prêtée » comme disait mon père. Je ne suis pas un extraterrestre. Je dois mon endurance à une vie frugale, à une dynamique naturelle puisée dans une hérédité saine. J’ai eu d’immenses privilèges, dont celui d’être éduqué par des parents très cultivés, bons, appartenant à une lignée de pasteurs protestants ; celui d’exercer le métier de ma passion, celui d’une constante soif d’apprendre, comprendre, découvrir, donner.

    Je vais être appelé à passer sur l’Autre Rive. J’avoue ne pas être pressé, il me faudrait encore quelques deux cents ans pour, peut-être, épuiser ma soif de curiosité, mon désir de faire avancer la Connaissance et d’éclaircir ce point Alpha d’où nous sommes nés, de découvrir d’autres pays. Je ne suis pas inquiet de franchir le passage, j’en éprouve même une extrême curiosité, je me cristallise sur la question de savoir s’il y a quelque chose de l’autre côté du voile. C’est un prodigieux problème que cet Au-delà. Mais je ne me précipite pas vers lui. Il me reste beaucoup de tâches, des travaux à terminer. Et surtout à mettre de l’ordre. Un ordre pluridirectionnel bien sûr. Enfin « la barque prêtée » était bonne. Elle ne m’a pas fait couler au fond. Les privilèges qui m’ont été donnés étaient tels, presque scandaleux, en regard des déshérités de l’âme et du corps qui peuplent le monde. J’ai toujours pu garder le droit fil d’une dimension spirituelle qui va de soi. Le bilan, ce n’est pas à moi de le faire. C’est à quelqu’un d’autre et à ceux que l’on aime ou que l’on aurait tant pu aimer. »

     

     

    Jean Giono – Le chant du monde

     

    « Il avait regardé tout le jour ce fleuve qui rebroussait ses écailles dans le soleil, ces chevaux blancs qui galopaient dans le gué avec de larges plaques d’écume aux sabots, le dos de l’eau verte, là-haut au sortir des gorges avec cette colère d’avoir été serrée dans le couloir des roches, puis l’eau voit la forêt large étendue là devant elle et elle abaisse son dos souple et elle entre dans les arbres. »

     

     

    Stephen Gallagher

     

    « Mieux vaut construire les enfants que réparer les adultes. »

     

     

    Kafka

     

    « Plus on monte un escalier, plus on augmente les marches vers le haut. »

     

    Proverbe 

     

    « Celui qui cherche des réponses, trouve des questions. »

     

     

    Albert Einstein

     

    « L’imagination est plus importante que la connaissance. La connaissance est limitée. »

     

     

    Walt Whitman

     

    « J’ai certainement mérité mes ennemis, mais je ne crois pas avoir mérité mes amis. »

     

      ***

     

    Michel Serres - Petite Poucette

     

    « L'espace centré ou focalisé de la classe ou de l'amphi peut aussi se dessiner comme le volume d'un véhicule : train, automobile, avion où les passagers, assis en rangs dans le wagon, l'habitacle ou le fuselage, se laissent conduire par celui qui les pilote vers le savoir. Voyez maintenant le corps du passager, avachi, ventre en l'air, regard vague et passif. Actif et attentif au contraire, le conducteur courbe le dos et tend les bras vers le volant.

    Quand Petite Poussette use de l'ordinateur ou du portable, ils exigent tous deux le corps d'une conductrice en tension d'activité, non celui d'un passager en passivité de détente : demande et non offre. Elle courbe le dos et ne met pas le ventre en haut. Poussez cette petite personne dans une salle de cours : habitué à conduire, son corps ne supportera pas longtemps le siège du passager passif ; elle s'active alors, privée de machine à conduire. Chahut. Mettez entre ses mains un ordinateur, elle retrouvera la gestuelle du corps-pilote.

    Il n'y a plus que des conducteurs, que de la motricité ; plus de spectateurs, l'espace du théâtre se remplit d'acteurs, mobiles ; plus de juges au prétoire, rien que des orateurs, actifs ; plus de prêtres au sanctuaire, le temple se remplit de prêcheurs ; plus de maîtres dans l'amphi, partout des professeurs... Et, nous aurons à le dire, plus de puissants dans l'arène politique, désormais occupée par les décidés.

    Fin de l'ère du décideur. »

     

      ***

     

    Erik Orsenna - La grammaire est une chanson douce

     

    « Vingt-cinq langues meurent chaque année ! Elles meurent, faute d'avoir été parlées. Et les choses que désignent ces langues s'éteignent avec elles. Voilà pourquoi les déserts peu à peu nous envahissent. A bon entendeur, salut ! Les mots sont les petits moteurs de la vie. Nous devons en prendre soin. »

    « Vous êtes comme moi, j'imagine, avant mon arrivée dans l'île. Vous n'avez connu que des mots emprisonnés, des mots tristes, même s'ils faisaient semblant de rire. Alors il faut que je vous dise : quand ils sont libres d'occuper leur temps comme ils le veulent, au lieu de nous servir, les mots mènent une vie joyeuse. Ils passent leurs journées à se déguiser, à se maquiller et à se marier.

    Du haut de ma colline, je n'ai d'abord rien compris. Les mots étaient si nombreux. Je ne voyais qu'un grand désordre. J'étais perdue dans cette foule. J'ai mis du temps, je n'ai appris que peu à peu à reconnaître les principales tribus qui composent le peuple des mots. Car les mots s'organisent en tribus, comme les humains. Et chaque tribu a son métier.

    Le premier métier, c'est de désigner les choses. Vous avez déjà visité un jardin botanique ? Devant toutes les plantes rares, on a piqué un petit carton, une étiquette. Tel est le premier métier des mots : poser sur toutes les choses du monde une étiquette, pour s'y reconnaître. C'est le métier le plus difficile. Il y a tant de choses et des choses compliquées et des choses qui changent sans arrêt ! Et pourtant, pour chacune il faut trouver une étiquette. Les mots chargés de ce métier terrible s'appellent les noms. La tribu des noms est la tribu principale, la plus nombreuse. Il y a des noms-hommes, ce sont les masculins, et des noms-femmes, les féminins. Il y a des noms qui étiquettent les humains : ce sont les prénoms. Par exemple, les Jeanne ne sont pas des Thomas (heureusement). Il y a des noms qui étiquettent les choses que l'on voit et ceux qui étiquettent des choses qui existent mais qui demeurent invisibles, les sentiments par exemple : la colère, l'amour, la tristesse... Vous comprenez pourquoi dans la ville, au pied de notre colline, les noms pullulaient. Les autres tribus de mots devaient lutter pour se faire une place.

    Par exemple, la toute petite tribu des articles. Son rôle est simple et assez inutile, avouons-le. Les articles marchent devant les noms, en agitant une clochette : attention, le nom qui me suit est un masculin, attention, c'est un féminin ! Le tigre, la vache.

    ... p 80 à 89...     »

    Les noms et les articles se promènent ensemble, du matin jusqu'au soir 

     

      ***

     

    John Steinbeck

     

    « Les hommes ne font pas des voyages, ce sont les voyages qui font les hommes. »

     

      ***

     

    Charles Darwin

     

    « Ce n'est pas l'espèce la plus forte qui survit, ni la plus intelligente, mais celle qui sait le mieux s'adapter aux changements. »

     

      ***

     

    Lao-Tseu

     

    « Ce qui pour la chrysalide est la fin du monde, le monde l'appelle papillon. »

     

     

      ***

     

    Jean-Louis Fournier - Ca m'agace

     

    « Les crevettes grises batifolaient dans l'eau bleue, les daurades faisaient la sieste, les méduses méditaient, les maquereaux scintillaient. C'était un beau jour de l'été, paisible, calme et tranquille. Il est arrivé, il a tout gâché.

    Un bruit énorme, de la fumée, une odeur de brûlé, des remous. Sur un scooter des mers, un crétin s'amuse à faire des ronds sur la mer. Il ne va nulle part, il fait seulement du bruit. Il n'a pas honte. Au contraire, il est fier. Fier d'avoir réveillé et terrorisé les poissons endormis et les vacanciers assoupis sur la plage. Des vacanciers venus au bord de la mer pour entendre le silence. Des vacanciers qui habitent au bord d'une route et qui pour s'endormir, ne comptent pas les moutons mais les camions.

    Le crétin s'en fout, il veut en foutre plein la vue, plein l'ouïe, montrer qu'il est riche et con à la fois.

    J'en veux beaucoup à celui qui a inventé le scooter des mers, maudit engin qui vient troubler le silence de la nature et nous empêche d'entendre le bruit de la mer et le chant des sirènes. »

     

    « Un jour sans vent, le promoteur a regardé la mer.

    Elle était basse, elle découvrait des kilomètres carrés de sable. C'était la grande marée.

    Il a pensé à toute cette surface inutilisée. Cette place perdue.

    Il a pensé à tout ce qu'il pourrait gagner sur la mer.

    Il a  imaginé des rocades, des tours, des résidences pieds dans l'eau, des avenues à perte de vue, des marinas.

    On a perdu la vue sur la mer. Les crevettes se sont tirées et les coquillages ont été murés vivants dans le béton.

    Quand je suis sur le petit morceau de plage qui reste, je vois encore, entre les voitures, un peu la mer. Je ne l'entends plus, j'entends les scooters des mers.

    Dans "promoteur", il y a "moteur".

    Le promoteur à explosion, il n'est plus là. Il est parti très loin, rechercher la solitude et le silence dans des pays magiques où la mer s'étale sur des plages infinies.

    Il regarde la mer, il pense à toute cette surface inutilisée, cette place perdue, à tout ce qu'il pourrait gagner sur la mer... »

     

      ***

     

    Luis Sepulveda - Le monde du bout du monde

     

    « Je n'ai pas eu à marcher beaucoup pour arriver aux animaux. Plusieurs centaines de phoques, d'éléphants de mer, de pingouins et de cormorans occupaient la forteresse de rochers qui bordait la mer. Dès qu'ils m'ont senti, ils ont levé la tête, et les moustaches des phoques s'agitaient comme s'ils essayaient de déchiffrer mes intentions.

    J'ai senti qu'ils m'observaient attentivement de leurs petits yeux noirs, mais ils ont finalement décidé que j'étais inoffensif et ont repris leur éternelle activité de vigies de l'horizon.

     

    La souveraineté est un mouchoir inventé par les militaires pour essuyer leur morve.

     

    Avant de vous laisser seul, je vais vous raconter une anecdote : un bon ami à moi, un navigateur chilote qui mérite bien le titre de loup de mer, a été pendant des années pilote dans le détroit de Magellan. L'homme prenait la barre de n'importe quel bateau et le conduisait sans problèmes côté Pacifique ou côté Atlantique. Mais mon ami avait une tare : il n'avait jamais étudié dans une école navale et, pour comble de malchance, il était socialiste. Au moment du coup d'Etat militaire de 73 quand l'armée a tout pris, la préfecture maritime de Punta Arenas l'a convoqué pour un examen avant de lui renouveler sa licence de pilote. Donc mon ami César Acosta et ses quarante ans d'expérience ce sont assis devant un imbécile qui portait des galons de lieutenant. L'officier a déplié une carte maritime du détroit et lui a dit : "Indiquez-moi où sont les bancs de sable les plus dangereux." Mon ami s'est gratté la barbe et lui a répondu : "Si vous savez où ils sont, je vous félicite. Moi, pour naviguer, ça me suffit de savoir où ils ne sont pas."

     

    Pour nous remettre de cette journée, le Collègue nous servit un succulent ragoût de coquillages et d'algues et, après le dîner, le capitaine Nilssen m'indiqua qu'il nous fallait encore quelques heures pour atteindre le Finisterre.

    - Quelques heures et un peu plus. Ma parole, j'ai oublié de vous demander : vous savez monter à cheval ?

    - Oui. Mais je suis plutôt médiocre cavalier.

    Ca ne fait rien. On a soixante-dix kilomètres à faire sur un sale terrain. Mais ne vous inquiétez pas. Le cul est la partie du corps qui oublie le plus vite les mauvais traitements.

     

    Je trouve parfois les dauphins beaucoup plus sensibles que les êtres humains, et plus intelligents. C'est l'unique espèce animale qui n'accepte pas de hiérarchies. Ce sont les anarchistes de la mer.

     

    Les bateaux qui ont connu le goût de l'aventure deviennent amoureux des mers d'encre et ils aiment naviguer sur le papier. »

     

    Henri Guaino - Camus au Panthéon, discours imaginaire

    « A la question : "Que feraient les combattants de La Peste devant le visage trop humain du fléau ?", Il répond que cette question a déjà reçu sa réponse, qu'elle est positive, que s'il ne donne pas un visage particulier à la terreur c'est parce qu'elle ne a plusieurs et qu'il voulait que La Peste puisse servir à toutes les résistances contre toutes les tyrannies.

    L'Etranger, c'est la révolte solitaire.

    La Peste, c'est le combat collectif.

     

    "J'ai appris moi aussi que j'avais peur de la liberté. La liberté n'est pas une récompense ni un cadeau. Seul pour décider devant soi-même ou devant le jugement des autres. Au bout de toute liberté, il y a une sentence : voilà pourquoi la liberté est si lourde à porter."

     

    A Stockholm, au moment du prix Nobel, il répond à un jeune Algérien qui l'interpelle lors d'une rencontre avec des étudiants : "En ce moment on lance des bombes dans les tramways d'Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c'est cela, la justice, je préfère ma mère." On le lui reprochera.

     

    A ceux qui justifient les représailles contre les civils et la torture, il dit : "Même pour gagner des guerres, il vaut mieux souffrir certaines injustices que les commettre, et pareilles entreprises nous font plus de maquis ennemis."

     

    Il parle de ses dures journées de travail à gratter les sols, de ses longs jours de peine, de sa vie sans hommes et sans espoir qui est aussi "une vie sans ressentiment d'aucune sorte, résignée à toutes les souffrances, les siennes comme celles des autres. Il ne l'avait jamais entendue se plaindre, sinon pour dire qu'elle était fatiguée ou qu'elle avait mal aux reins après une grosse lessive. Il ne l'avait jamais entendue dire du mal de personne. Mais en revanche, il l'avait rarement entendue rire de tout son cœur."

    Et le cri déchirant qui jaillit de son carnet : "Ô mère, pardonne ton fils d'avoir fui la nuit de ta vérité" fait écho au remords de tous les fils devant la dette qu'ils ont contractée vis-à-vis de leur mère et qu'ils ne rembourseront jamais. »





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